Les munitions utilisées pour la chasse, le ball trap et les activités militaires contiennent des métaux lourds très toxiques pour l’environnement, comme le plomb, qui occasionnent de sérieux dommages sur l’environnement et une mortalité accrue de la faune sauvage essentiellement chez les petits gibiers. Une réglementation récente interdit l’utilisation de cartouches au plomb pour le gibier d’eau et l’on voit poindre une évolution en ce sens pour les munitions destinées à la chasse du grand gibier. Ce même plomb est-il aussi nocif pour l’Homme s’il consomme de la venaison ? La réponse ci-après par Pierre Zacharie, expert national en pathologie du Grand-Gibier.
Grenaille de plomb de chasse et saturnisme pour le gibier d’eau
Le plomb est le métal le plus utilisé pour la fabrication des munitions et grenailles en raison de ses caractéristiques (poids, malléabilité et disponibilité). Mais, c’est également un métal extrêmement toxique pour les animaux et pour l’Homme. Responsable du saturnisme, c’est un puissant neurotoxique (à très faible dose chez le fœtus et l’embryon).
Les oiseaux d’eau qui n’ont pas de dents recherchent et mangent normalement de petits gravillons (grit) qui sont stockés dans leur gésier et qui amélioreront l’action mécanique de celui–ci sur les aliments. Ils ingèrent par la même occasion du plomb ou d’autres métaux lourds.
L’ingestion accidentelle de billes de plomb de chasse par les canards et les effets induits sur leur santé ont fait depuis plus d’un siècle l’objet de nombreuses études. La réponse de l’organisme à une intoxication au plomb se traduit par des symptômes cliniques typiques tels que des diarrhées, le manque d’appétit et de vigueur, une perturbation de la locomotion (dégénérescence des muscles et du système nerveux) ainsi qu’un amaigrissement prononcé ou accéléré. En revanche, la sensibilité des canards à ce toxique est quant à elle très variable selon les individus, la quantité de plomb ingérée et la qualité de la nourriture. Ainsi, avec une alimentation à base de blé uniquement, la mortalité atteint 67 % des canards colvert pour l’ingestion de trois billes de plomb n°4. En revanche, ce risque atteint 33 à
50 % des individus pour l’ingestion d’une quantité de plomb 3 à 8 fois plus importante mais avec une alimentation équilibrée en calcium et en oligoéléments.
En cas de mort, celle-ci survient, chez le Colvert, en moyenne 15 jours après la consommation de plomb. D’après les études effectuées cette dernière décennie, le taux en pourcentage de l’effectif national à la mi–janvier, liée à l’intoxication au plomb est relativement faible et ne dépasserait pas 1% pour le canard Colvert, le canard Chipeau et le fuligule Morillon, et 3% pour le fuligule Milouin ; ces quatres espèces étant les plus exposées. Sur certains sites tels que la Camargue et le lac de Grand Lieu (Loire Atlantique), les taux de mortalité peuvent atteindre des valeurs plus fortes que 3 %. En revanche, sur le Rhin, qui est un site majeur d’hivernage en France et en Europe de l’Ouest, le risque d’exposition est considéré comme quasi nul. Certes, cette analyse concerne l’effet direct sur les populations en terme de mortalité par intoxication, toutefois un effet indirect peut également être noté sur la reproduction puisque l’ingestion du plomb peut significativement affecter la production des œufs et ainsi réduire le succès reproducteur.
Actuellement, plusieurs pays européens (Pays–Bas, Norvège, Finlande, Royaume Uni, Danemark Suède, France) ont choisi d’interdire totalement ou partiellement l’usage des grenailles de plomb pour la chasse des oiseaux d’eau. Toutefois, la substitution pose de sérieux problèmes d’ordre balistique et de résistance des canons.
La consommation de viande provenant de canards intoxiqués peut-elle avoir un impact sur la santé des prédateurs et de l’Homme ?
Les muscles des canards intoxiqués par ingestion de grenailles concentrent environ 25 fois moins de plomb que le foie et 250 fois moins que les reins ; ces deux tissus étant les plus affectés.
Pour l’Homme, les risques d’être intoxiqué en consommant de la chair de canard semblent par conséquent très faibles, étant donné que dans les muscles (cuisses, pectoraux ou magrets) d’un canard Colvert fortement intoxiqué (indiquée par une teneur dans le foie de 100 µg (microgrammes) de plomb par gramme de poids sec), la quantité de plomb ingérée à l’état soluble serait de 0,6 mg soit l’équivalent de 0,3 % d’un seul plomb n°4. Pour une personne de 70 kg, cette dose est au moins 1000 fois inférieure à celle nécessaire pour observer des effets cliniques.
En revanche, les risques semblent beaucoup plus importants pour les prédateurs tels les rapaces (Busard des roseaux, Autour des palombes, Epervier, Gypaète barbu), qui peuvent consommer des tissus concentrant davantage ce toxique (foie, rein) ou qui ingèrent du muscle dans lequel peuvent se retrouver impactées des grenailles entières de plomb. Dans certains cas, c’est davantage cette dernière cause qui expliquerait la forte concentration de plomb que l’on peut parfois retrouver chez les prédateurs. Il a été récemment démontré que des vautours et des condors s’intoxiquent par ingestion de billes de plomb présentes dans la chair des cadavres qu’ils consomment ou en consommant la chair enrichie en plomb autour des blessures par balles qu’ils consomment. Le condor de Californie, second plus grand oiseau du monde est menacé de disparition et le saturnisme induit par la chasse semble avec les collisions avec les lignes électriques, rester la première cause de mortalité.
La chasse aux grands gibiers dans le viseur
Dans différents pays (Suède, Canada, Espagne, Belgique, Suisse), est apparu le concept de la munition de grande chasse sans balle de plomb.
Le thème de la balle sans plomb est maintenant d’actualité. Ce sont souvent des déclarations à l’emporte pièce d’associations qui soulignent les avantages de la munition sans plomb sans s’intéresser aux études qui témoignent des avantages de la munition conventionnelle et qui relativisent certains inconvénients du plomb.
Une « guerre de principe » serait une erreur. Une interdiction de la munition conventionnelle plombifère serait dans tous les cas une erreur tant que l’effet mortel des tirs sur les animaux, la sécurité, l’influence sur la santé des hommes et des animaux, la compatibilité avec les armes de chasse de la munition sans plomb n’auront pas été tirés au clair en détail.
La brochure spécialisée Allemande « Konventionnelle und innovative Jagdbüchsengeschosse » (Munition de chasse conventionnelle et innovante) parue en 2013, présente les faits, les évaluations et les aides décisionnelles concernant les thèmes suivants :
- propriétés des matériaux pour la munition des carabines,
- hygiène de la venaison et la toxicologie humaine,
- évolution écotoxicologique de munitions pour carabines,
- sécurité cynégétique,
- utilisation de munitions de confiance sans plomb sur les stands de tir,
- effet mortel des tirs sur les animaux,
- expérience dans le pratique cynégétique,
- compatibilité des armes et de la munition.
Tous ces thèmes sont traités en détail par des experts spécialisés renommés. Ensemble, ils concluent que, pour l’introduction de nouveaux matériaux pour la munition et une interdiction des munitions utilisées à ce jour, il faudra tenir compte de tous ces paramètres.
Le plomb ne devrait être substitué que si des études sans a priori et objectives, réalisées selon des critères scientifiques stricts, permettent de trouver une alternative représentant une solution équivalente au plomb. Ces experts ont clairement démontré que des études ou évaluations supplémentaires sont encore nécessaires.
La venaison reste-t-elle la priorité ?
Nous avons vu précédemment que l’action du plomb sur les canards était nocive pour ces derniers. C’est une réalité et un problème environnemental. Par contre, La contamination de l’Homme par l’ingestion de viande d’anatidés « plombée » semble plus qu’aléatoire. Rien n’étant plus facile pour l’Homme d’éliminer dans son assiette l’éventuelle grenaille de plomb présente dans la venaison et rares sont les individus à consommer régulièrement les reins et foies de canards sauvages (organes les plus à risques). Les prélèvements effectués sur des viandes d’anatidés par la Direction Générale de l’Alimentation (DGAL) en période de fêtes de fin d’année, n’ont pas révélé des taux de plomb anormaux.
En ce qui concerne le Grand-Gibier, à la demande toujours de la DGAL, une saisine auprès de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation , de l’Environnement et du travail (ANSES ) a eu lieu le 21 mai 2015 (saisine n°2015-SA. 1009) pour la réalisation de l’expertise relative aux risques sanitaires liés à la consommation de gibiers au regard des contaminants chimiques environnementaux (dioxines, PCB, cadmium et plomb). 136 échantillons de grands gibiers furent analysés.
La conclusion de cette enquête a été, toujours en raison du principe de précaution que la consommation de viande de gibier ne devait pas excéder trois fois par an et que les femmes enceintes et les enfants en bas âge ne devait pas manger de venaison en raison de risques neurologiques et gynécologiques entre autres ! Vous avouerez que dans ces conditions il sera difficile de booster le marché de la viande de gibier. De là à interdire les balles composées de plomb, il n’y a qu’un pas que certaines personnes voudraient bien franchir.
Mais en fait, à la lecture de ce rapport dans les détails, il est avoué clairement que cette étude comporte des biais notamment par le fait qu’il n’est pas fait le distinguo entre la pollution environnementale et la pollution par projectile. De plus, il est précisé que les prélèvements de muscles ont été quasiment tous prélevés sur les trajectoires des balles et qu’une nouvelle étude avec un protocole plus précis serait souhaitable.
Hormis de consommer régulièrement les zones d’impact des balles sur une carcasse de Grand-Gibier, le risque reste limité. Comment une balle ayant tuée un Grand-Gibier plein coffre ou avec une balle de cou pourrait contaminer les cuissots ?! De plus, la consommation de viande de gibier par habitant et par an ne dépasse pas les 600 grammes. Là encore, l’étude montre qu’il n’y a pas d’éléments significatifs en matière de consommation de venaison sur lesquels s’appuyer.
Voyons plutôt le problème sous une autre approche plus environnementale et proche de l’intégrisme vert. A cet effet, citons deux exemples qui mettent au second plan les problèmes de santé humaine dus à l’ingestion de plomb.
1er exemple :
Lors des phases d’abattage des bouquetins du Bargy, les associations écologiques ont fait pression auprès des services de l’État pour que les tirs soient effectués avec des balles en tungstène afin que le Gypaète barbu ne se contamine pas par l’ingestion de viande de bouquetins ayant chuté dans des à pics et n’ayant pu être récupérés par les hélicoptères. Tout ceci pour éviter les risques de saturnisme.
2ème exemple :
Pour la dernière saison de chasse, dans le Vercors, lors d’une battue au Grand -Gibier, un daguet est blessé. Le lendemain, une recherche au sang est organisée et au bout de 800 mètres environ, le daguet est retrouvé vivant mais gravement blessé (balle de cuissot) et achevé par une balle de cou. Naturellement, les chasseurs pensent au devenir de cette carcasse et logiquement, ils téléphonent à l’association qui gère les placettes de nourrissage à nécrophages (vautours) sur cette zone. Ces messieurs se déplaceront mais refuseront les cuissots et le cou du daguet en raison des risques de contamination par les balles et donc de saturnisme pour ces oiseaux.
Des arguments fallacieux pour la santé de l’Homme
Même si le risque existe, l’excès dans certains domaines n’est pas acceptable. Tous les artifices ou arguments fallacieux sont parfois utilisés pour arriver à ses fins sans tenir compte des arguments scientifiques, la pseudo– contamination de la venaison par le plomb en est hélas un bien triste exemple. Il serait fortement souhaitable que nos instances nationales cynégétiques prennent le contre-pied devant de tels arguments et demandent une nouvelle étude avec les critères ad hoc.